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Le legal design a pour objectif de rendre accessible le droit en général, et les contrats, les actes juridiques, les process, etc. en particulier.

Cette méthode consistant à mettre les besoins des utilisateurs au centre des préoccupations, a permis de créer des merveilles technologiques comme l’application mobile Uber par exemple, qui propose un parcours utilisateur simple et sans couture !

Quelles applications concrètes peut-on tirer du legal design ? Qu’est-ce qu’un “bon” Legal Designer ? Quelles bonnes pratiques peut-on mettre en place pour rédiger ses contrats ?

Pour répondre à ces questions, nous avons interviewé Romain Hazebroucq, Consultant en Legal Operations à RH Visuels et spécialiste du legal design.

Legal design : les conseils de Romain Hazebroucq

 

Le legal design est un sujet qui fait couler beaucoup d’encre. Pensez-vous que les professionnels du droit l’ont adopté en France ?

Beaucoup de signaux montrent qu’il y a une certaine maturité de la profession sur ce sujet. Cela se voit dans les offres d’emploi : des connaissances en legal design sont souvent appréciées. Cela se voit sur les sites Internet des avocats et dans leur communication : la capacité à rendre des livrables clients sous format legal designé est souvent mise en avant. Cela se voit enfin dans l’appétit qu’il y a des différents professionnels à se former.

Les professionnels du droit ont aussi une connaissance plus mature du sujet. L’idée que le legal design est bien davantage que le simple ajout de visuels dans contenu juridique classique est maintenant bien ancrée.

Beaucoup de juristes et d’avocats identifient que le premier élément du legal design, c’est la rédaction : notamment avec l’emploi des techniques du langage juridique clair.

Là où il y a encore des progrès à faire, c’est sur le lien qu’il y a entre le legal design et le reste des activités.

Que ce soit pour les avocats, les juristes, ou les autres professionnels qui pratiquent le droit, le legal design est encore vu comme une couche de peinture rendre davantage « sexy » des documents juridiques.

À ce titre, le legal design est encore aujourd’hui trop souvent identifié à la communication. Il est vu comme une technique de vulgarisation du droit à l’intention des clients. Le fait que les agences de communication proposent du legal design ou que des legal designers proposent des prestations de communication entretient cette confusion.

L’idée doit encore faire son chemin que le legal design est un outil productif, qui peut accélérer la production, augmenter la sécurité juridique de documents complexes, servir à développer des process, et, in fine, permettre de se doter d’outils digitaux pertinents

Le legal design est avant tout une manière de transformer sa façon de faire du droit.

 

Vous définissez le legal design de cette manière : “10% de vrais outils et pratiques, et 90% de bon sens”. Quels sont les outils ?

J’espère ne pas trop vous décevoir en vous disant que les premiers outils à maîtriser pour faire du legal design sont des outils de bureautique traditionnelle.

Quand on passe des heures en compagnie de son client mail, de Word, d’Excel et de PowerPoint, il faut chercher ce que ces outils ont dans le ventre. Il y a des choses très puissantes qui permettent d’aller très loin dans des rendus visuels sophistiqués. Il y a aussi des choses qui permettent d’industrialiser la production.

Je vais prendre l’exemple du publipostage. J’invite beaucoup les juristes à travailler leurs documents dans des tableaux, « des matrices », et l’idéal, c’est de le faire sous Excel.

Une fois que l’on dispose de son document écrit dans les cellules d’un tableau Excel, il faut l’exporter dans un document Word. Là, la fonction publipostage peut-être d’une aide immense. Il s’agit de créer une trame de base, dans laquelle chaque composante de sa matrice aura reçu une mise en forme prévue à l’avance, et de déverser les informations de son tableau dans cette trame. À la fin, on a un document designé à 80 %, il ne reste plus que quelques finitions à faire.

D’autres fonctions comme l’utilisation poussée des styles, l’utilisation poussée des tableaux, ou l’utilisation avancée des outils de composition graphique de PowerPoint permettent de faire du legal design au quotidien.

Ça, c’est la partie visible de l’iceberg. La partie cachée se rattache à la réponse à votre précédente question. Si l’on conçoit le legal design comme un moyen de production, alors, au-delà du simple enjeu de générer des documents, on peut se sensibiliser aux outils qu’utilisent nos clients internes ou externes.

Je vais donner un exemple qui concerne les avocats, et puisque l’on est chez Hyperlex, je vais parler de contrats.

Plutôt que de rendre un audit de contrats écrit sous forme de rapport de 500 pages, que votre client devra traduire en actions concrètes dans ses outils de gestion à lui, si vous savez que votre client utilise un logiciel de gestion de contrats, vous pouvez envisager de lui fournir cet audit directement dans l’outil : les contrats renseignés, les alertes enregistrées, les rappels programmés.

Que l’on utilise des outils pour améliorer l’ergonomie des documents que l’on rend, ou pour livrer son expertise dans un format directement exploitable par son utilisateur, dans tous les cas il s’agit bien de legal design.

Avec le legal design, le juriste doit être capable de cerner les attentes de l’utilisateur et d’y répondre avec clarté. Quelles sont les qualités d’un bon Legal Designer ?

Se poser ! Ne pas se précipiter à ouvrir un modèle, à faire du copier-coller, à rédiger sur une page blanche, etc. Se poser avant de rédiger un mémo en se demandant ce que son client entend en faire et, par conséquent, ce que son mémo doit dire. Se poser avant de rédiger une clause pour imaginer une sanction en cas d’inexécution qui sera proportionnée à l’enjeu de cette clause (et qui est rarement l’action en responsabilité contractuelle de droit commun). Se poser, avant d’envoyer un e-mail, sur la façon dont le destinataire le percevra, et ce qu’on attend de lui.

Dès lors que l’on se pose, le centrage client arrive de lui-même. Si on doit s’aider un peu, on peut appliquer un exercice mental qui consiste à se poser quatre questions : « qui est mon destinataire ? » (souvent on rédige pour le patron de son destinataire et pas pour son destinataire lui-même), « quelles sont ses contraintes ? », « quel est mon objectif à son égard ? », Et enfin « quel est le parti pris que je dois adopter ? ».

 

Pour vous, le legal design, ce n’est pas simplifier un contenu qui a besoin de longueur. Si le besoin est de publier des informations sur 50 pages, ou 120 diapositives, il faut conserver cette longueur mais bien structurer le contenu. Comment savoir quelles informations sont superflues et quelles informations sont essentielles ?

Vous avez raison ; le legal design ce n’est pas la simplification, c’est la décantation.

Notre document doit contenir à la fois les morceaux opérationnels et vulgarisés destinés à l’opérationnel, le raisonnement juridique résumé destiné aux juristes de notre client, et les passages ultra techniques ou les recherches destinées à couvrir notre responsabilité. À la différence des pratiques actuelles, que je constate encore trop souvent, il s’agit juste d’assumer que ces discours ne doivent pas être mélangés, mais juxtaposés et que chacun doit être signalé par une mise en forme attitrée.

Dans cette perspective, comment savoir ce qui relève du technique et ce qui relève de l’opérationnel ? Il ne faut pas chercher à se faire violence : nous sommes des juristes, des techniciens passionnés par notre matière. Très souvent nous abordons les questions par le prisme du détail technique (la qualification, l’articulation condition / effet, etc.).

Donc, au brouillon, il faut poser son syllogisme de manière traditionnelle.

Mais quand il s’agit de le restituer livrable final, j’invite à faire la démarche en partant du technique et en remontant vers l’opérationnel.

L’idée est de se demander, pour chaque paragraphe, s’il justifie un autre paragraphe. Si je constate qu’un paragraphe justifie une explication, c’est que c’est de l’ultra technique. Si cette explication justifie une affirmation, c’est que c’est du technique. Si cette explication ne justifie rien d’autre qu’elle-même, peut-être que je tiens là un de mes points essentiels qui doit, d’une part, être mis en exergue et, d’autre part, être placé en tête.

Avec l’expérience et l’expertise d’un sujet, on arrive à faire l’inverse : identifier les préconisations opérationnelles qui structurent notre document et en faire découler les explications techniques et leurs développements ultra techniques dans un second temps.

 

Quelles applications concrètes peuvent tirer les professionnels du legal design ?

La liste est infinie !

Mais de manière réaliste, on peut déjà commencer par :

  • Rédiger des consultations que son destinataire va comprendre dès sa première lecture (et ainsi éviter ou limiter les explications que l’on doit produire en direct).
  • Rédiger des e-mails sur la base desquels ses utilisateurs vont effectivement agir, et ainsi limiter les relances. À ce titre je pense notamment aux e-mails dans lesquels on demande des informations ou des pièces à des opérationnels : si ces e-mails ne sont pas pensés sur le fond et la forme, trop souvent vous devrez courir après vos destinataires.
  • Créer des contrats qui se négocient facilement, et non pas à coups de mark-ups.
  • Fournir de l’information juridique vulgarisée à des opérationnels afin qu’ils s’autonomisent, le tout dans un format ergonomique : podcast, vidéos, bandes dessinées, outils digitaux…

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Le Legal Design est-il essentiel à la transformation digitale des directions juridiques ?

Pas du tout (rires) ! Le legal design est certes un passage obligé, mais il peut se faire totalement inconsciemment.

Je trouve que c’est un point d’entrée élégant pour les directions juridiques qui commencent leur transformation digitale.

En effet, le legal design invite le juriste à repenser la relation intime qu’il entretient avec les documents qu’il produit. Le formalisme qui résulte de cette démarche conduit naturellement à accoler des process à ces documents.

Par exemple : si on passe du temps à créer un modèle de consultation en utilisant le legal design, c’est pour qu’il soit utilisé de manière récurrente. Ainsi, à côté du modèle, on créera naturellement des indications et des méthodes d’utilisation, voire des process de création (telle personne s’occupe de telles parties, telle autre de telles autres parties, telle autre contrôle, telle autre valide…).

Quand on dispose de process, alors c’est gagné ! En effet, une fois que l’on a des process, on veut les accélérer, et on se dirige naturellement vers des solutions legaltech qui correspondent à ses besoins.

A l’inverse, dans les organisations déjà très processées et bien outillées, le legal design va naturellement découler de la mise en place d’une démarche qualité. Dès lors que ces organisations interrogent leurs clients sur ce qu’ils souhaitent, et s’autorisent à le leur donner (même si cela conduit à créer des formats originaux), alors elles font du legal design sans même s’en apercevoir.

Pourriez-vous nous donner des bonnes pratiques de legal design à mettre en place pour la création d’un contrat ?

Avec plaisir !

La première chose est de structurer son contrat non pas en articles, mais en points mono sujets, dans un ordre et avec des intitulés opérationnels.

Pour chacun de ces points, ensuite, on applique une matrice, avec les composantes suivantes :

  • l’intention des parties (qu’on exprimera en utilisant les règles du langage juridique clair),
  • le déclencheur (s’assurer qu’il s’agit bien d’un événement extérieur aux parties et constatable),
  • le formalisme (s’assurer que si on prévoit des notifications ou des rapports, le client disposera bien des ressources humaines dédiées à leur création et de modèles faciles à reproduire),
  • l’enregistrement (cette composante est inspirée de la création de process, il s’agit de s’assurer que l’exécution de l’obligation s’incarne dans un support ou un événement incontestable),
  • et enfin, la sanction (à cette occasion, on se demande si la simple responsabilité contractuelle de droit commun est une réponse adéquate en cas d’inexécution, ce qui assez rarement le cas, et ce qui invite à faire preuve de créativité).

Lors des négociations, on veille à ne surtout pas négocier des points de fond avec des mark-ups. On valide d’abord que les parties sont d’accord sur l’expression de leur intention pour chaque point. On ouvrira les mark-ups uniquement pour les points effectivement validés. Pour les autres, on continuera les négociations sur le fond.

Si tous les contrats sont structurés de cette manière, je pense que le temps de négociation pour chacun d’entre eux sera réduit. En plus, leur utilisation par un opérationnel, même longtemps après la signature, sera facilitée.

Par ailleurs, peut-être qu’une telle structuration utilisée sur tous les contrats facilitera l’utilisation d’outils comme Hyperlex, afin d’organiser un management effectif de son portefeuille de contrats.

➡️ Voir RH Visuels, le site de Romain Hazebroucq 

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