Parfois, l’implémentation d’outils de Contract Management, ou CLM (Contract Lifecycle Management) échoue. Pour essayer de comprendre pourquoi et surtout, comment éviter ces échecs, nous avons eu la chance de pouvoir échanger avec Craig Conte, un expert en Contract Management depuis plus de 20 ans.
Craig Conte est associé chez Deloitte, responsable de l’équipe de conseil en gestion juridique des contrats. Son équipe se concentre sur l’optimisation des processus de gestion contractuelle des entreprises de bout en bout. Pour y parvenir, ils se concentrent sur les résultats commerciaux, en réduisant le coût des contrats et en augmentant la vitesse et l’efficacité de chaque étape.
Dans cet entretien (en anglais), nous faisons référence à un article qu’il a écrit « Why CLM implementation fails » (Pourquoi la mise en œuvre de CLM échoue).
Nous avons également retranscrit l’interview en français.
Pourquoi la mise en place de solution de Contract Management échoue parfois : Interview de Craig Conte, associé chez Deloitte
Bonjour Craig, merci d’avoir accepté cette interview ! Dans cet entretien, nous allons nous concentrer sur les échecs des implémentations d’outils de Contract Management dans les entreprises. Vous avez écrit un article à ce sujet. De quels échecs parlez-vous dans cet article ?
Les solutions CLM (Contract Lifecycle Management) sont des technologies complexes, mais relativement nouvelles. On en entend parler depuis une vingtaine d’années, je dirais. Mais au cours des cinq dernières années, le sujet a pris de l’ampleur et est arrivé dans les entreprises. Je pense que les personnes essaient de les adopter et se disent : “Super, la technologie va tout résoudre”.
C’est un peu comme si je disais : j’ai ce téléphone, il va résoudre mes communications. Ou encore : j’ai cette voiture, elle va résoudre mon problème de transport. Mais on oublie qu’un téléphone en soi ne peut rien résoudre. Une voiture non plus. Donc il me semble que les personnes pensent parfois : les contrats sont compliqués à gérer, j’ai besoin d’une technologie pour m’aider”. Mais ils ne pensent pas vraiment à ce qu’ils essaient de résoudre.
Et la gestion du cycle de vie du contrat est complexe. Il y a la génération du contrat, la signature, la gestion du contrat, la fin du contrat… La question à se poser c’est : “Quel est le problème que vous essayez de résoudre ?”
Il existe différentes technologies qui se concentrent sur différents aspects du problème. De quoi avez-vous besoin ? Avez-vous besoin d’être plus efficace ? De conclure l’affaire plus rapidement ? Est-ce que c’est parce que cela vous rapporte plus d’argent ? Est-ce que vous perdez de l’argent ?
2020 a mis en évidence le rôle particulier et essentiel de la technologie, avec l’accélération de la digitalisation des entreprises et du travail à distance. La technologie semble être une réponse au besoin des entreprises de continuer à exercer leur activité. Mais la technologie ne suffit pas, comme vous l’expliquez dans votre article. Pourquoi ne peut-elle pas tout résoudre ?
Effectivement : 2020 a été une année compliquée, une année que l’on n’oubliera jamais. Elle nous a forcé à adopter la technologie.
Nous avons à notre disposition une multitude d’outils pour nous appeler tous les jours ! La technologie a résolu ce problème de communication, elle nous permet de communiquer les uns avec les autres… Mais elle a aussi créé un autre problème. Nous nous connectons presque trop ! Soudainement, nos journées ont été découpées en créneaux de rendez-vous téléphonique 30 minutes. Mais si on mettait en place un cadre, peut-être que nous pourrions être plus efficaces. Peut-être que nous pourrions transformer ces réunions en 15 minutes et nous laisser du temps à côté pour faire d’autres choses !
C’est aussi le cas dans la gestion des contrats. Avant, je pouvais me déplacer pour demander à quelqu’un de regarder mon contrat, ou de le signer. Aujourd’hui, il y a toutes sortes de solutions de signature électronique, et on les adopte de plus en plus. On commence aussi à réaliser que l’on a pas besoin de se déplacer pour parler à son avocat ou à son commercial. Et vous savez quoi ? J’irais même plus loin en disant que si on a assez d’informations, on pourrait même créer le contrat. La technologie nous a forcé à nous adapter, parce que les humains sont bons pour le changement !
Mais nous devons aussi prendre du recul, et réaliser que trop inclure de technologie dans notre quotidien, ou de l’inclure seule ne donne pas les résultats que nous voulons. Nous devons prendre du recul et nous dire : « Est-ce que j’essaie d’être plus efficace en intégrant un contrat qui fait des pages et des pages à la meilleure technologie du monde ?”
Si vous essayez de le numériser, pourquoi ne pas essayer de l’optimiser aussi ? De le rendre plus facile à utiliser ?
Votre équipe aide les entreprises à transformer leurs activités de gestion des contrats et des affaires commerciales afin de gagner en efficacité, de créer une plus grande valeur, mais aussi de faciliter le travail de toutes les équipes impliquées dans le processus contractuel. Comment pouvez-vous mesurer cela ?
La gestion contractuelle est un sport d’équipe ! Les avocats sont impliqués, mais aussi les directions achats, commerciales, financières, et opérationnelles. Toutes les équipes touchent aux contrats, mais personne ne les possède totalement. Donc ce que nous essayons de faire, et que les technologies essaient aussi de le faire, c’est d’examiner le processus contractuel existant aux seins des entreprises et trouver des opportunités pour les optimiser.
Ainsi, plutôt que de se contenter de dire qu’une équipe juridique ou qu’une équipe achats doit changer, on regarde les points de contact et on cherche ce qui peut être changé. Quels points de contact peuvent être éliminés ? Comment peut-on faire mieux ?
Les avocats sont des gens formidables, des gens bien, des gens intelligents. Mais avons-nous besoin d’eux pour tout ? Avons-nous besoin d’un avocat pour créer un NDA ? Avons-nous besoin d’un avocat pour un simple accord qui a été fait 100 fois ce mois-ci par l’entreprise ?
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Pourquoi la gestion des obligations est-elle si importante aujourd’hui ?
Je compare toujours cela au mariage. Choisir un partenaire pour travailler un peu avec vous est la partie la plus amusante. Vous allez à des rendez-vous, vous buvez du vin… Mais une fois que les rendez-vous galants sont terminés, c’est là que le travail commence, et vous emménagez ensemble. Et si vous ne faites pas le travail nécessaire, la relation s’effondre !
Je vais filer la métaphore. Cela m’est égal de savoir combien vous étiez amoureux avant. Si vous n’y mettez pas du vôtre, la relation va s’effondrer. L’argent sera perdu. Les déceptions seront au rendez-vous. C’est exactement la même chose avec les contrats en entreprise Si vous ne comprenez pas les obligations et les attentes de votre partenaire, et que vous ne les remplissez pas, il va y avoir des déçus. Et puis finalement vous vous séparerez, ce que personne ne veut dans une relation contractuelle !
Vous dites dans votre article que les entreprises devraient s’entourer des bonnes personnes pour éviter les échecs d’implémentation de technologies juridiques. A quoi ressemble la meilleure équipe pour vous ? Est-ce une entreprise avec un consultant externe et un prestataire informatique de solution CLM (Contract Lifecycle Management), par exemple ?
Je suis naturellement biaisé : je pense que les consultants sont des gens formidables (rires) ! Mais aussi, je pense qu’il est important d’avoir un prestataire de technologie juridique qui sera franc avec vous. N’oubliez pas que ce sera la meilleure personne pour vous expliquer comment la technologie fonctionne.
Ensuite, vous devez généralement vous associer à quelqu’un, pour aider à mettre cette technologie en œuvre dans l’entreprise, où vous devez avoir une équipe impliquée. Quoi qu’il en soit, l’entreprise doit vous impliquer dans ce processus parce que c’est un changement dans votre façon de faire. Les consultants ou les fournisseurs de technologie ne seront pas là tout le temps.
Vous devez donc avoir en interne des champions qui comprennent la technologie de Contract Management, comment elle fonctionne, et qui peuvent exister par eux-mêmes après sa mise en œuvre.
C’est la partie la plus importante. Ne considérez pas cela comme une simple mise en œuvre d’une technologie par le service informatique. Il y a probablement d’excellents techniciens à l’intérieur de votre entreprise qui peuvent avoir fait, 50 implémentations d’ERP ou plus. Mais les contrats, c’est différent, c’est plus compliqué. Et c’est parce que cela touche les avocats, les financiers, les achats.
Je n’ai pas encore rencontré de professionnel de l’informatique qui comprenne tout cela parfaitement.
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Concernant le Contract Management, quelles sont pour vous les différences entre les marchés anglo-saxon et européen ?
Peut-être que les États-Unis et le Royaume-Uni sont légèrement en avance. Mais, la France prend le sujet de la gestion des contrats au sérieux. Il y a des écoles de Contract Management par exemple, cela veut dire que le développement de ces compétences et le développement de cette structure au sein des organisations est valorisé.
Il y a eu beaucoup d’entreprises comme la vôtre depuis quelques années. Et c’est merveilleux de voir ces startups obtenir des investissements. Je pense que le léger retard va être rattrapé très rapidement !
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Comment pensez-vous que le marché des outils de Contract Management va évoluer dans les prochaines années ?
Il va continuer à grandir. Il y a environ deux cent cinquante outils de technologie juridique aujourd’hui, ce qui représente beaucoup d’options différentes. Je pense que les entreprises réalisent aujourd’hui qu’elles ne peuvent pas simplement travailler avec un stylo et du papier.
Dans les années 1900 les gens essayaient de comprendre comment rendre les chevaux plus rapides. Maintenant nous avons établi que la solution est la voiture, si vous allez travailler, et que vous en avez besoin, est-ce que vous allez essayer de la construire vous-même ?
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